L'après-midi, dans ce que Mathilde appellera plus tard, l'expédition de Milly, le soleil et le ciel et toute la nature sont avec elle . En vraie femme, elle s'est parée du mieux qu'elle a pu, en blanc pour faire fraîche, un peu de rouge aux lèvres pour la circonstance, les sourcils faits, les dents écarlates, mais surtout pas de noir pour allonger les cils, elle sait ce que ça donne quand on craque . [...]
Quand Mathilde est dans la maison, assise dans sa trotinette, qu'on en a fini des supplications, des larmes et des bêtises, elle demande à Juliette Desrochelles, sa future belle-mère, de la pousser jusqu'au jardin de derrière, où Manech est en train de peindre, et de la laisser seule avec lui un moment . Il est prévenu de sa visite . On lui a dit qu'une jeune fille qu'il a beaucoup aimé vient le voir . Il a demandé son nom, qu'il a trouvé beau .
Quand Juliette Desrochelles et Sylvain se retirent, Mathilde est à vingts pas de lui . Il a les cheveux noirs, tout bouclés . Il lui paraît plus grand qu'elle ne s'en souvenait . Il est devant une toile, sous un appentis . Elle a bien fait de ne pas se mettre du noir sur les cils .
Elle essaie de s'approcher de lui, mais le chemin est de gravier, c'est difficile . Alors il tourne la tête vers elle, et la voit . Il pose son pinceau et s'approche, et plus il s'approche, plus elle se félicite de n'avoir pas mis de noir à ses yeux, elle ne veut pas pleurer mais c'est plus fort qu'elle, un moment elle ne le voit plus venir qu'à travers des larmes . Elle s'essuie vite . Elle le regarde . Il s'est arrêté à deux pas . Elle pourrait tendre la main, il s'approcherait encore, elle le toucherait . Il est le même, amaigri, plus beau que personne, avec des yeux comme Germain pire l'a écrit, d'un bleu très pâle, presque gris, tranquilles et doux, avec quelque chose au fond qui se débat, un enfant, une âme massacrée .
Il a la même voix qu'avant . La première phrase qu'elle entend de lui, c'est terrible, il lui demande : " Tu peux pas marcher ? "
Elle bouge la tête pour dire non .
Il soupire, s'en retourne à sa peinture . Elle pousse sur ses roues, elle se rapproche de l'appentis . Il tourne à nouveau les yeux vers elle, il sourit . Il dit : " Tu veux voir ce que je fais ? "
Elle bouge la tête pour dire oui .
Il dit : " Je te montrerai tout à l'heure . Mais pas tout de suite, c'est pas fini . "
Alors en attendant, elle s'adosse bien droite dans sa trotinette, elle croise les mains sur ses genoux, elle le regarde .
Oui, elle le regarde, elle le regarde, la vie est longue et peut porter encore beaucoup plus sur son dos .
Elle le regarde .
Mon livre de chevet qui ne me quitte jamais... L'un des rares livres à m'avoir fait pleurer!
[Readapté au cinéma où là j'ai pleuré à ne plus m'arrêter]
Photo: By Me
Envie de: revoir Emeline qui a du bien grandir depuis la dernière fois
Ecoute: le bruit de mon aquarium ^^